PAUL BERTHELOT (1882-1910) Un jeune espérantiste et anarchiste de passage à Ceret entre 1903 et 1907 par Gentil Puig-Moreno

Publié le par Gentil Puig Moreno

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Nous avons déjà cité, dans la revue Vallespir, le nom de Paul Berthelot, spécialement dans un article, publié dans le numéro 6 (2010), d’Hèctor Alós, secrétaire de l’Associació Catalana d’Esperanto (ACS), à propos du centenaire de la création de l’Aplec Esperantista de Catalunya de 1904, qui a été commémoré à Ceret en octobre 2004 avec une forte participation internationale. Certaines informations proviennent de cet article.

Paul Berthelot a été un jeune homme assez extraordinaire pour que les lecteurs de la revue  Vallespir le connaissent et puissent l’apprécier à sa juste valeur. Il est né à Auxerre en 1882, fils de Paul Berthelot (père), homme de science et physiologue, qui fut un des fondateurs avec Jules Ferry de l’Instruction Publique française, un républicain progressiste typique de la IIIe République Française naissante (1879-1940). Le jeune Paul Berthelot apprit l’espéranto lors de ses études secondaires au lycée de Reims. Par la suite, en 1900, il commençà ses études de médecine à Paris, mais très vite il les abandonna. Il voulait éluder le service militaire car à l’université il avait adhéré au mouvement anti-militariste. Fin 1901, il s’enfuit pour la Suisse, où il apprit le métier de typographe en 1902.

En 1903 nous retrouvons le jeune Paul Berthelot à Ceret où il s’installa à 21 ans. Il commença à travailler comme typographe à l’imprimerie “Vallespir” de Monsieur Sitger de la rue Saint Ferréol. Ce n’était pas un hasard, mais bien le résultat des recommandations de ses amis typographes et espérantistes Suisses. Très vite, il devint l’ami d’un groupe de jeunes typographes cérétans. Paul Berthelot développa à Céret une intense activité militante de diffusion de l’espéranto, en suivant, sans doute, les idées progressistes de son père. De plus, ses convictions anarchistes ne l’empéchèrent pas du tout de comprendre et d’assumer le sentiment catalaniste de ses amis, tout comme la réalité catalane des terres qui l’avaient accueilli, et où il avait déjà beaucoup d’amis qui commençaient à l’apprécier.

En 1904, Paul Berthelot eut l’idée de fonder une Association Catalane de l’Espéranto afin d’unir les espérantistes catalans vivant de chaque côté des Pyrénées. Pendant l'été 1904, il voyagea en Catalogne Principat pour maintenir des contacts avec des groupes espérantistes de Barcelone et de Manresa, qui acceptèrent de devenir délégués de la future association. En septembre 1904, il écrivit un article ayant pour titre “Tra fremda lando” (En terres étrangères) qui fut publié à la revue Lingvo Internacia (Langue Internationale) où il commentait son voyage à Barcelone et annonçait la création du “Grup Esperantista de Catalunya”.

Le mois de septembre 1904, Émile Boirac avait fait une conférence à la mairie de Céret sur le thème de “La nécessité d’une langue internationale et l’espéranto”. Emile Boirac était un philosophe célèbre, recteur de l’Université de Grenoble et président de l’Académie d’Espéranto. Il avait des relations avec le Roussillon parce que son épouse était née à Salses.

Le Courrier de Céret se fit écho de l’événement et annonça une réunion espérantiste à Figuères pour le 25 septembre 1904. Mais, ce ne fut que durant le mois de novembre que naquit la nouvelle association. Finalement, celle-ci avait pour nom: Aplec Esperantista de Catalunya (AEC), le secrétariat et le siège social seraient à Céret. L’Aplec avait pour objectif de réunir tous les groupes espérantistes isolés qui apparaîssaient de part et d’autre des Pyrénées. Les délégués nord-catalans étaient Jean Baron, de Perpignan, et le fabricant de cycles de Céret, Edouard Agramon. Le 22 décembre 1904 le communiqué“Espéranto & Catalan” apparaîssait dans le journal L’Indépendant, où l’on pouvait lire un appel en faveur de l’espéranto signé par l’Aplec, et accompagné d’un bulletin d’adhésion rédigé en catalan.

L’année suivante 1905 le bulletin de l’Aplec, Espero de Katalunjo (Espérance de Catalogne). était publié à Céret, ce fut aussi le premier bulletin espérantiste catalan. Trois numéros furent uniquement publiés. Il s’agissait d’une publication écrite majoritairement en catalan, avec certains articles écrits en langue esperanto. Le bulletin comptait une centaine de membres de l’association et avait des correspondants à Figuères, comme à Girona, Barcelona et Manresa mais aussi à Céret, Perpignan, Narbonne et Bésiers. Parmi les articles publiés il faut mentionner trois pages du numéro 1, signées par un notaire de Figuères du nom de Salvador Dalí, le père du fameux peintre surréalite, qui avançait des arguments sur la nécessité d'une langue internationale et d'une organisation catalane qui puisse la faire connaître à tout le pays. Le troisième numéro d’Espero de Katalunjo publiait une liste des adhérents de l’Aplec, parmi lesquels 22 étaient de Perpignan, 21 de Barcelone, 13 de Céret et 3 de Manresa. Les membres de l’Aplec de Ceret étaient: Edouard Agramon, Paul Berthelot, l’avocat Jean Sors, les agents de la poste, Edmond Baux, Joseph Fauvet, Henriette Bertholle, Maria Coderch et Léa Come, les typographes Marie Lamiot, Salvador Palau, Francesc Batlló et Joan Julià. Il faut rajouter Teresa Julià car elle fut pendant de nombreuses années présidente du Groupe Espérantiste de Ceret. Les membres protecteurs étaient Pierre Chopis, inspecteur des écoles primaires, Frédéric Dalbiès, secrétaire de justice, Joseph Parayre, et Auguste Raynaud, procureurs. L’appui de ces personnalités indiquait que le mouvement espérantiste comptait sur la respectabilité des gens les plus éclairés et cultes de la ville.

Pendant son séjour dans le Vallespir Paul Berthelot fonda aussi en 1905 la revue “Esperanto” dans laquelle il publia le premier essai de son Dictionnaire Esperanto-Esperanto (avec la définition des racines). Il fut aussi l’initiateur de la Revue Sociale Internationale d’inspiration anarchiste. Après ces quatre années d’activisme intense en faveur de l’espéranto, Paul Berthelot quitta Céret au début de l’année 1907, pour embarquer du port de Marseille à destination de l’Amérique du sud.

Après une halte de quelques mois à Montévideo, la capitale de l’Urugay, il partit pour Rio de Janeiro au Brésil l’été 1907 où il participa au Congrès Brésilien d’Espéranto, et où il connut Nenon Vascon, dirigeant anarchiste du Groupe Terre Libre. A Rio de Janeiro, il enseigna le français et l’espéranto dans la fameuse Académie de langues Berlitz, et après 1908, il fut nommé directeur de sa succursale à Petropolis, cité de villégiature de la bourgeoisie et de la diplomatie brésilienne. Mais, très vite il perdit son travail à cause de son action de propagande anarchiste et anti-militariste. Il publia différents articles dans le journal “A Voz do Trabalhador” édité par la “Confederaçao Operària Brasileira”, la confédération anarchiste ouvrière. En 1909, il fut membre du Comité de la Langue Espéranto.

Après une période difficile, pendant l’année 1909, il essaya de retourner en Europe, mais dans l’impossibilité, il s’intéressa à la culture des indigènes. Il alla à Leopolaina, dans l’Estado do Goiàs, au centre du Brésil, entre les Etats de Mato Grosso et de Minas Gerais pour y fonder une colonie anarchiste “Colonia Agricoia Socialista nos serioês do Araquaia”. Après un échec malheureux, au début 1910, il fut nommé inspecteur de navigation fluviale de la“Companhia de Navegaçaô do Araquaia” sous la protection du sénateur Urbano Gouveia qui lui avait trouvé ce poste. A Arauna, il étudia la culture et la langue des indigènes, et il collabora à des revues de Saô Paulo. Il rédigea en français le livre “L’Évangile de l’heure”, et poursuivit son voyage vers le nord jusqu’à Belém-do-Pará. Gravement atteint de tuberculose, il vécut ses dernières semaines à Conceiçao do Araguaia, enseignant l’espéranto aux moines d’un monastère qui l’hébergèrent et le soignèrent, il préparait un manuel d’enseignement de l’espéranto en latin “Compendium grammaticae Esperanti”. Il mourut au Brésil, à Conceiçaô do Araguaia dans l’Estado do Pará, le 2 novembre 1910. Il avait à peine 28 ans.

Malgré son final tragique, nous croyons que Paul Berthelot représente un exemple magnifique pour la jeunesse actuelle de Céret et d’ailleurs, et que les autorités municipales de Céret seraient bien inspirées si elles pouvaient lui rendre un jour l’hommage qu’il a tant mérité !

Quel sera le/la maire qui croira en la culture, respectera la mémoire historique et aura suffisamment d’audace pour enfin le réaliser ?

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