PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR DE L’UNION POUR LA MÉDITERRANÉE

Publié le par Gentil Puig Moreno

PASSÉ, PRÉSENT ET FUTUR DE L’UNION POUR LA MÉDITERRANÉE

 

Casal Jaume Primer,  Perpignan le 8 avril 2011

Organisé par Plate-Forme de Rénovation de la Gauche Catalane et Socialiste (PRGCS)

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Participants

 

-  Présentation du thème et des intervenants par Jean Bigorre de la PRGCS

-  Gentil Puig (Barcelone-Ceret) la tradition méditerranéenne de la Catalogne

-  Joseph Sfeir (Beirut-Perpignan) la question du Moyen Orient (Israel et Palestine)   

-  Henri Sicre, ex-député: résumé historique du Processus de Barcelone, 1995

-  Raimon Obiols, député européen: l’UpM depuis 2008 et perspectives actuelles

-  Débat ouvert: l’UpM à la lumière des événements de Tunisie et d’Egypte

 

Après avoir remercié Josep Serra, président du Casal Jaume Primer de Perpignan de leur accueil, Jean Bigorre de la PRGCS, présente les intervenants: Gentil Puig-Moreno (universitaire UAB), Joseph Sfeir (journaliste Libanais), Henri Sicre (ancien député PS de la 4e circonscription des PO) et Raimon Obiols (député européen pour le PSC), et il les remercie de leur présence à Perpignan. Il ajoute que le thème qui concerne les événements qui se déroulent actuellement en Méditerranée sont d’une importance capitale, comparables à ceux qui eûrent lieu en Europe en 1848, lors des révolutions, libérales et nationalistes.

 

Gentil Puig-Moreno (universitaire)

 

Bonsoir. Certains d’entre vous se souviendront certainement qu’il y a de cela un an, j’avais proposé à Raimon Obiols de venir à Perpignan faire une conférence sur l’Euro-Méditerranée, mais à l’époque pour diverses raisons le projet n’avait pas pu se réaliser. On pensait généralement que ce n’était pas un thème très mobilisateur, ni à d’actualité. Mais, depuis quelques mois, beaucoup d’événements aussi inattendus que prometteurs se sont produits de l’autre côté de la Méditérranée et, du coup, notre projet est redevenu non seulement possible mais très urgent et nécessaire. C’est la raison qui nous réunit finalement ce soir. Voilà pourquoi nous avons également fait appel à Henri Sicre, qui a été député PS de la 4e circonscription des Pyrénées Orientales pendant 4 législatures, et qui a connu le début du Processus de Barcelone avant 1995, comme membre de la commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale, et qui va nous en parler.

 

Je voudrais pour ma part mettre en relief un seul aspect de la question: celui des Catalans, de la Catalogne et la Méditerranée, avec une très brève mise en perspective historique. Car, ceux qui habitent Perpignan, savent que nous sommes ici, à peu près à 500m du Palais des Rois de Mallorca. Et le Royaume de Mallorca conquis par Jaume 1er (1229-1235) c’était déjà le contact direct des Catalans avec la Méditerranée. Le royaume de Mallorca n’a duré que 68 ans de 1276 à 1344, ensuite il a été reintégré à un ensemble plus vaste qui était celui de la Coronne d’Aragon et des Comtes de Barcelone, qui a pris par la suite la forme politique d’une confédération avec le royaume de Valence, et qui a duré de 1164 à 1715 (près de 5 siècles).

 

Certains historiens ont vanté les conquêtes militaires catalanes en Sicile (1282) en Sardaigne (1323-26), et en Grèce avec Neopatria ou les ducats d’Athènes (1319-1390), mais, d’après le grand historien de la longue durée, et spécialiste de la Méditerranée, Fernand Braudel, les conquêtes militaires ne sont pas ce qui est le plus significatif de l’action des Catalans. Car, Fernand Braudel démontre, documents de Simancas à l’appui, que l’activité manufacturière, commerciale, de peuplement et l’ouverture de routes maritimes et des Consulats de mar des commerçants catalans étaient nombreux en Méditerranée. Il cite l’anecdote de produits manufacturés de Barcelone au XIVe siècle, qui débarqués au port de Tunis arrivaient par caravanes jusqu’au Soudan (armes, textiles, draperie, cordages, outils, objets manufacturés, etc.). Pendant les XIVe et XVe siècles, les routes commerciales maritimes catalanes s’étendaient sur le pourtour de toute la Méditerranée. Routes de cabotage au nord, sur les côtes de Provence et Génoises; routes de cabotage au sud de Tanger à Tripoli, route maritime des illes (Mallorca, Sardaigne, Sicile), route du Levant (Chypre, Syrie, Alexandrie), route de l’Adriatique et de la Grèce. (Cf. Atlas historique de Catalogne, Victor Hurtado, 1995, pp.102-103).

 

En sautant plusieurs siècles, si nous revenons à l’histoire récente de la Catalogne et au gouvernement de Jordi Pujol, on ne s’étonnera pas qu’il soit allé, lui aussi, en Tunisie dans les années 90 avec des entrepreneurs catalans, et qu’un Institut Català d'Estudis Mediterranis ait été créé en 1989 par la Generalitat. Par conséquent, je pense que l’expérience historique catalane devrait pouvoir inspirer les actions politiques actuelles, car elles étaient fondées davantage sur le dialogue, les échanges commerciaux et culturels d’égal à égal, beaucoup plus que sur les coups médiatiques et militaires actuels. D’ailleurs, si en 2009 l’UpM a finalement choisi Barcelone (au lieu de Marseille souhaité par Sarkozy) comme siège central, ce n’est pas un hasard.

 

Avec notre ami Joseph Sfeir, journaliste libanais, nous sommes allés récemment à Barcelone au Palau de Pedralbes, le siège barcelonais de l’UpM pour nous informer, mais personne a pu nous recevoir, et pour cause, tout était paralysé ! Mais il y a peu de jours, Joseph a pu rencontrer un vice-secrétaire italien de cet organisme à Paris. Il va peut-être nous en parler.

 

Pour finir et amorcer le débat je voudrais poser deux questions. A Henri Sicre, comment est né le Processus de Barcelone en 1995, qu’a-t-il fait en 13 ans. Pourquoi aurait-il échoué ? A Raimon Obiols, comment est née l’UpM en 2008, quel futur a-t-elle désormais, avec de  nouveaux acteurs issus des processus démocratiques en cours sur la rive sud-méditerranéenne ? Quelles mesures d’urgence et concrètes propose l’Union Européenne pour aider ces peuples ? Merci.

 

  Joseph Sfeir (Journaliste)

 

Cette rencontre de Paris dont Gentil vient de parler n’a rien donné et, par conséquent, je ne peux rien en dire. Cependant, on a appris que le secrétaire général adjoint, l’italien Lino Cardarelli, a été recemment promu secrétaire general intérimaire. Rappelons au passage que l’ex-secrétaire général de l’Union pour la Méditerranée, le Jordanien Ahmad Masa’deh, n’appartenait même pas aux pays rivérains de la Méditerranée, et que depuis 2008 il n’a pas réussi à faire grand chose pour l’UdM.

 

Par contre, j’aimerais avancer deux idées pour le débat concernant aussi bien sur le Processus de Barcelone de 1995, que l’Union pour la Méditerranée de 2008. Il s’agit, d’une part, du long conflit Israélo-Palestinien, et d’autre part, du déséquilibre flagrant de traitement entre l’aide attribuée par l’Union Européenne aux différents pays du Magreb au détriment de ceux du Moyen-Orient. 

 

Car en effet, depuis le tout début de la création du Processus de Barcelone (PdB) l’assassinat de d’Itzrhak Rabin le 4 novembre 1995 est venu entraver et paralyser le processus de paix dans tout le Moyen-Orient. Depuis, je pense que le poids énorme et l’aggravation de ce conflit a lourdement hypothéqué la politique européenne du Processus de Barcelone qui en a beaucoup souffert. Par ailleurs, on peut se demander si ce conflit n’est pas à l’origine du déséquilibre et du semi abandon des pays du Moyen-Orient, auquel je faisais allusion.

 

Car, nous savons tous le poids considérable des relations historiques et politiques entre, d’un côté, la France, l’Espagne, Italie et l’Europe, et de l’autre côté, les trois pays du Magreb Algérie, Tunisie et Maroc). Nous pouvons facilement le comprendre, mais les pays du Moyen-Orient ne peuvent pas accepter cette différence de traitement.

 

Quel sera maintenant le futur de l’Union pour la Méditerranée, revue et corrigée avec l’irruption des nouveaux acteurs issus des révoltes et révolutions en cours dans de nombreux pays de la rive sud et orientale de la Méditerranée ? Nous l’ignorons, mais il ne peut pas être pire que ce qui existait avec l’UpM, jusqu’à ces derniers mois. Je vous remercie.

 

         Henri Sicre (Ex-député)

 

Bonsoir. Lorsque Gentil m’a demandé de parler de l’historique du Processus de Barcelone (PdB) avant et après 1995, je me suis penché sur mes souvenirs et mes notes, lorsque j’étais membre de la commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale française. Avant 1995 il existait déjà de nombreux projets bilatéraux de coopération entre les pays du nord et du sud. Le PdeB allait vite devenir une nécessité qui connaitrait très vite des réussites, et aussi ses limites.

 

Le Processus de Barcelone est né dans l’esprit d’Oslo et sur les ruines de la Guerre froide. La Conférence Euro-méditeranéenne des Ministres des Affaires étrangères des 27 et 28 novembre 1995 a lancé la première initiative régionale de l’Europe sur l’espace méditerranéen. Le Processus de Barcelone, d’après la ville qui a consacré ses débuts, a été rendue possible par deux facteurs essentiels du contexte international de l’époque.

 

La fin de la Guerre froide avait marqué des changements géopolitiques non seulement au niveau mondial, mais aussi à l’échelle européenne. Une coopération Nord-Sud devenait envisageable. Le Traité de Maastricht négocié en 1991 et entré en vigueur en 1992 avait mis en œuvre une série de réformes internes de la CEE, mais aussi entraîné un changement du rapport de forces en Europe.

 

L’Allemagne se lançait dans élargissement à l’est qui signifiait le déplacement du centre de gravité européen sur son territoire. En outre, l’Espagne essayait de contrebalancer cette nouvelle orientation envers l’Europe centrale et orientale par le lancement du partenariat euro-méditerranéen pendant la Présidence espagnole du deuxième semestre de l’année 1995. La France, s’associa à l’initiative.

 

La naissance du PdB a été rendue possible par un autre facteur qui a favorisé la coopération au sein des pays méditerranéens. Les accords d’Oslo, signés en 1993 grâce à la médiation norvégienne, mettaient un terme au conflit entre Israël et ses voisins arabes. Le partenariat euro-méditerranéen pouvait rassembler, pour la première fois, Israël et l’Autorité palestinienne, tout comme ses autres voisins arabes, au sein d'un même forum régional.

 

Le PdB était un projet ambitieux entre les 15 Etats membres de l’UE à l’époque et 10 pays de la région méditerranéenne: le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Egypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Syrie, l’Autorité palestinienne et la Turquie, auxquels se rajoutaient l’Albanie et la Mauritanie, en tant «qu’invités de la Présidence». Suite à l’élargissement de 2004 et 2007, l’UE y associa ses 27 Etats membres dont deux autres pays méditerranéens, Chypre et Malte.

 

La coopération née à Barcelone était très généreuse. Rédigée à partir du projet avancé par la Commission européenne, elle adopte une approche générale divisée en trois volets :

 

·      -  La définition d’un espace commun de paix et de stabilité par le dialogue politique et de sécurité ;

·       .  La construction d’une zone de prospérité par un partenariat économique et par l’établissement d’une zone de libre échange à l’échéance de 2010 ;

·       . Le rapprochement culturel en partenariat culturel et social entre les deux rives de la Méditerranée.

 

Le projet Euro-méditerranéen comprenait 2 dimensions, complémentaires. La dimension bilatérale qui gardait l’esprit des relations de la Communauté européenne et une dimension régionale, qui visait la coopération entre les pays de la région. La Commission européenne intervenait pour la coopération et gérait les accords bilatéraux avec les pays associés et les projets financés par le programme MEDA. La Banque européenne, participait au financement du processus. La politique suivait trois axes: le développement du secteur privé et le renforcement sur secteur financier local; la création d’infrastructures de base; le soutien des projets régionaux.

 

La Fondation Anna Lindh, inaugurée le 20 avril 2005 à Alexandrie, visait la coopération culturelle entre les peuples de la Méditerranée et de mener à terme l’objectif du volet annoncé à Barcelone. Les objectifs de Barcelone en 1995 ont été ambitieux et les forums de discussion multiples.

 

En 2007 on constatait des avancées du PdB non négligeables. Les instruments de la Commission européenne ont été le plus souvent utilisés par le Processus de Barcelone. Ainsi, la Commission européenne a signé des accords d’association avec les pays méditerranéens. Les feuilles de routes dans la politique de voisinage depuis 2006 ont été signées. Ces accords ont été essentiels pour la coopération économique car 90% de l’aide financière dans le cadre de MEDA a été engagée. Les financements européens jusqu’en 2006 ont atteint un total de 8,75 milliards d’euros pour la période 1995-2006: 3,40 Mds € pour MEDA I (1995-1999); 5,35 Mds € pour MEDA II (2000-2006). Ces sommes ont servi à financer des projets d’infrastructure ou de reconversion structurelle.

 

Des projets interrégionaux ont été réalisés tels le Réseau Euromed pour les Droits de l’homme, d’Euro-cities EUROMED, le Programme MEDACT de coopération entre les villes et territoires, EUROMESCO (réseau de politique étrangère), EUROMED Jeunesse III pour le dialogue, la citoyenneté et la démocratie et TEMPUS de l’enseignement supérieur. Ces programmes ont-ils servi à accélérer les actuels processus démocratiques ? Nous pouvons l’imaginer.

 

Un progrès a été réalisé en ce qui concerne la coopération dans le secteur privé. Ainsi, la Banque européenne d’investissement a octroyé des prêts de 4,80 Mds € entre 1995-1999 et de 6,50 Mds € entre 2000-2006. L’Association des Chambres de Commerce et de l’Industrie de la Méditerranée qui siège à Barcelone a contribué au développement économique de la région.

 

Mais le bilan des volets: paix et stabilité régionale et coopération culturelle et humaine, restait très faible. Dans le cadre politique, la promotion de l’état de droit, de la démocratie et des droits de l’homme, fer de lance de la politique étrangère européenne, n’avait pas progressé. Mise à part la création du Réseau Euromed pour les droits de l’Homme peu d’initiatives ont encouragé la démocratie dans les pays méditerranéens. Le bilan d’EuroMed de 2005 reconnaissait cette lacune.

 

Pour les échanges culturels, malgré le programme EUROMED Jeunesse et le programme de mobilité étudiante TEMPUS, il reste beaucoup à faire en matière de développement culturel. Avec un tiers de la population de ces pays en-dessous de l’âge de 15 ans et face aux problèmes de développement économique auxquels doivent se confronter ces pays, les défis sont énormes.

 

Le bilan du PdB n’est pas tout à fait négatif, et certainement mitigé. Avec un plan ambitieux de coopération régionale, le Partenariat Euromed a été le seul forum à réunir les pays riverains. En dépit des objectifs énoncés en 1995, aujourd’hui la coopération va davantage dans le sens Nord-Sud qu'entre les pays de la région eux-mêmes. Les vrais enjeux de la Méditerranée tels la libéralisation du commerce des produits agricoles et de la pêche, la coopération énergétique, la gestion de l’eau, les transports et les migrations n’ont pas été résolus. Le PdB a été un acquis et un cadre institutionnel privilégié pour le dialogue régional avec des institutions, mais une restructuration stratégique était nécessaire afin de pouvoir répondre aux nouveaux défis. Les objectifs ambitieux du PdB, se sont heurtés à plusieurs problèmes:

 

·       L’aggravation du conflit au Moyen-Orient a freiné le PdB et imposé des limites à la coopération;

·       l'esprit de partenariat n'a pas abouti aux résultats escomptés en matière de droits de l'homme;

·       le volume des échanges Sud-Sud reste encore très faible tout comme les investissements

 

Cependant, en 2007 la Commission considérait que la stratégie décidée à Barcelone et les principaux instruments étaient valables. La Commission proposait déjà de conditionner les futures dotations financières aux efforts consentis par les partenaires à la réalisation des réformes politiques. L'octroi d'aides financières dépendrait des progrès réalisés en matière de démocratie et de droits de l'homme. Au niveau de la coopération politique, une Charte euro-méditerranéenne pour la paix et la stabilité devrait institutionnaliser le dialogue politique et les mécanismes permettant de traiter les problèmes de sécurité et de stabilité. En 2008 une nouvelle page semblait s’annoncer… que Raimon Obiols va certainement commenter. Je vous remercie.

 

         Raimon Obiols (député européen)

 

Bona tarda tothom i moltes gràcies als organitzadors de la Plateforma i als bons amics del Casal Jaume 1er d’haver-nos accollit tan amablement a Perpinyà,

 

Je ne saurais pas répondre à la question de Gentil sur le futur de l’UpM, car je crois que personne ne peut actuellement le prévoir. En novembre 2009, j’avais déjà écrit qu’une clarification de l’Union pour la Méditerranée, était nécessaire. Je pense qu’elle devra être repensée de fond en comble.

 

Depuis sa création en 2008, l’Union pour la Méditerranée a connu de grandes difficultés. Les problèmes sont dus, comme l’a fait remarquer l’ami Joseph Sfeir, au conflit israélo-palestinien. Mais il y a d’autres raisons internes, dues à  la gestation du projet de l’UpM et à sa propre vision stratégique. Il fallait un débat pour éclaircir ces deux questions: la relation entre projet UpM et le conflit israélo-palestinien, et les perspectives de développement du projet lui-même.

 

On disait que l’UpM était bloquée à cause du conflit israélo-palestinien. C’est vrai, mais ce n’est pas toute la vérité. Plus que de blocage il faudrait parler de parcours de bas profil. L’UpM a été «institutionnellement suspendue» à la demande des pays arabes à cause de l’intervention armée d’Israël à Gaza, l’hiver 2008. Kouchner souligna, en Mai 2009, que l’UpM «était bloquée». Toutefois, en juin 2009, une réunion ministérielle s’est tenue à Paris, avec le ministre israélien de l’environnement, Gilad Erdan, et du ministre de l’Économie de l’Autorité palestinienne, Bassem Khouri. La presse a souligné le caractère «apolitique» de cette réunion, où le conflit a été écarté pour aborder des questions de gestion de l’eau et du transport. En juillet 2009, les ministres des Finances des pays de l’UpM se sont réunis à Bruxelles. L’UpM semblait sortir du tunnel et des déclarations triomphalistes n’ont pas manqué. Henri Guaino déclara au Monde: «Il y a quelques mois, personne n’aurait parié sur nos chances de  parvenir à monter une réunion de ce genre. Elle dément ceux qui veulent toujours que tout échoue. On peut dire que l’UpM est relancée».

 

Mais cette relance a été éphémère. La réunion des ministres des Affaires étrangères convoquée fin novembre 2009 à Istanbul, a été ajournée sine die. A ce propos, Kouchner déclara: «Nous renonçons (à tenir cette réunion) parce que le ministre égyptien a refusé de rencontrer son homologue israélien».

 

La mise en œuvre des projets de l’UpM est restée en stand by. Il a été décidé d’établir le siège du secrétariat à Barcelone, mais la nomination de son premier secrétaire général restait toujours en suspens. Il existait un malaise à propos des co-présidences. Il y avait une incertitude dans la préparation des projets et dans les prévisions de financement. Le degré d’engagement et la portée de la contribution de la BEI n’étaient pas connus, et l’Allemagne avait indiqué en 2010 que l’UpM ne pourrait pas bénéficier d’un budget supplémentaire européen à celui du  Processus de Barcelone. Le partenariat public-privé dépendait, de la cohérence et de la continuité du projet global de l’UpM. La situation était d’une certaine gravité. Il y avait un contraste tellement important entre les intentions déclarées et les résultats réels que, si un changement d’orientation et de méthodes ne se produisait pas, une frustration exacerbée ne manquerait pas de se développer.

 

Dès sa conception en 2008, l’UpM était confrontée à une question cruciale encore non résolue: son fonctionnement dépendait-il du conflit israélo-palestinien ou devait-il se développer de manière autonome ? Autrement dit: doit-on attendre la fin du conflit pour élaborer une politique euro-méditerranéenne ambitieuse, qui tienne compte de l’urgence des autres problèmes méditerranéens ? La politique euro-méditerranéenne qui a émergé du Processus de Barcelone (1995) et qui s’est développée avec la Politique de Voisinage (2004) a largement permis de contourner ce dilemme. Le PdB était conçu comme un développement progressif d’un large réseau régional, des accords d’association et des plans d’action entre l’UE et les divers pays de la Méditerranée méridionale et orientale, qui garantissait sa continuité, comme l’a bien expliqué notre ami Henri Sicre.

 

Mais le nouveau dispositif de l’UpM avait mis à nouveau la question du Proche-Orient (aggravée par les divisions palestiniennes et, surtout, par l’attaque israélienne à Gaza) au cœur des politiques méditerranéennes, comme un noeud central. Les contradictions de l’initiative expliquent les problèmes rencontrés dès 2008, surtout avec avec l’Allemagne et la Turquie. Il fallait procéder à une clarification, qui n’a jamais pu se faire, d’une  part, à l’égard du projet de l’UpM lui-même, et d’autre part, sur la façon concrète de procéder.

 

La conception de Sarkozy a été paradoxale. Celle-ci impliquait deux objectifs contradictoires: d’un côté une «dépolitisation» qui ajournait et étouffait les réformes démocratiques et les droits de l’homme dans la région, en s’appuyant sur une realpolitik ostentatoire auprès des Hosni Moubarak, Ben Ali et Bashad al-Assad, et qui par ailleurs, mettait l’accent sur une stratégie «fonctionnaliste» une «union de projets» et une puissante «institutionnalisation» qui a renforcé sa centralisation.

 

Rappelons que dans son discours de Tanger d’octobre 2007, le président Nicolas Sarkozy avait déjà évoqué le «fonctionnalisme» de Jean Monnet et a comparé son futur projet d’UpM avec la CECA qui avait jeté les bases de l’unité européenne. Mais, en même temps, Sarkozy proposait une institutionnalisation politique forte, montée de façon spectaculaire lors de la cérémonie constitutive de l’UpM en 2008 à Paris, qui a suscité des critiques rétrospectives pour ses fastes.

 

Dès 2009, du rôle opérationnel des fonctionnaires, des experts et des ambassadeurs, on passa au protagonisme des  chefs d’Etat et de gouvernement. Cela avait des avantages mais aussi des servitudes. Dominique Baudis, président de l’Institut du monde arabe, affirmait: «C’était une erreur de lancer le Processus de Barcelone simplement à un niveau ministériel. Quand l’initiative est prise au niveau des chefs d’Etat et de gouvernement, l’impact politique est plus fort». Mais il oubliait de dire que l’on augmentait d’autant la vulnérabilité et la dépendance face aux facteurs imprévisibles de la situation politique, comme l’ont montré les errances de l’UpM jusqu’à ce jour.

 

En 2010, l’UpM se trouvait dans une situation d’impasse préoccupante, et certains optaient pour la polémique comme Henri Guaino qui écrivait «L’Union pour la Méditerranée est un combat. Nous le mènerons ce combat, jusqu’au bout ! C’est un combat juste. Ceux qui sont responsables de l’échec de Barcelone sont les plus mal placés pour donner des leçons». Cette discussion était complètement absurde. Il fallait discuter de la mise en oeuvre de l’UpM, de ses difficultés et de ses contradictions. Il fallait opter pour des changements nécessaires pour l’avenir. Il fallait un accord sur l’orientation politique et, les fuites en avant façon Guaino, y aidaient très peu.

 

Depuis janvier 2011, face aux urgences des révolutions populaires et démocratiques en cours des pays de la rive sud de la Méditerranée, et des défis généraux de la Méditerranée, il ne fallait pas créer de fausse alternative. Il ne serait ni juste ni lucide de faire abstraction du conflit entre Israël et les pays arabes, mais une donne nouvelle semble possible. La politique méditerranéenne ne pourra  évoluer qu’en fonction de ce qui se passe sur la rive sud et au Proche-Orient. Et il est impératif  d’aider cette évolution, de telle sorte que cela ne paralyse pas les politiques euro-méditerranéennes.

Car un blocage susciterait des frustrations supplémentaires: nous ne pourrions pas créer les nouveaux outils et projets dont les peuples de la Méditerranée ont besoin. Cette mise en marche doit être une contribution positive aux problèmes de la région.

 

C’est ainsi qu’un commissaire européen Tchèque vient de proposer au Parlement Européen une mesure tout à fait nouvelle, urgente et spectaculaire, d’aide économique directe aux partis politiques Tunisiens et Egyptiens (Partnership for Democracy and Shared Prosperity”). Cette aide sera, pour la période 2011-2013, de 240 et 445 millions d’euros respectivement, pour les partis politiques qui prouveront par leur programme et leur action qu’ils s’orientent réellement vers la consolidation des réformes constitutionnelles et de la démocratie dans leurs pays respectifs.

 

Depuis la création de l’UpM en 2008 il y a eu trop de rhétorique et un certain manque de professionnalisme et de bon sens. Serons-nous capables à l’avenir de surmonter cette situation ? Les problèmes des peuples de la Méditerranée l’exigent. La relance d’une nouvelle UpM, ou d’un organisme Euro-méditerranéen sur des bases tout à fait nouvelles doit être le travail de tous les pays sur des bases d’égalitarisme et de respect mutuel.

 

En tout état de cause, je crois fermement qu’à l’avenir ceux qui occupent le devant de la scène politique feraient bien d’adopter une attitude plus modeste et plus respectueuse envers les peuples méditerranéens, avec un engagement plus sérieux et démocratique. Je vous remercie.

 

DÉBAT AVEC LE PUBLIC

 

De nombreuses questions du débat avec les assistants ont tout d’abord porté, d’une part, sur les questions de la participation des partis musulmans dans les processus démocratiques en cours en Tunisie et en Egypte et, d’autre part, le rôle de ces mêmes forces issues des révolutions sur l’évolution des transitions politiques et sur les nouvelles constitutions démocratiques.

 

En réponse, le rôle des forces militaires dans ces deux pays a été évoqué par Henri Sicre, ainsi que celui des partis politiques musulmans qui ont semblé complètement dépassés par le mouvement des revendications sociales et démocratiques des peuples, et surtout par la jeunesse tunisienne et égyptienne, qui ont massivement utilisé les réseaux sociaux d’internet pour leur mobilisation.

 

Raimon Obiols fait observer que le vent de liberté qui souffle actuellement dans les pays du Magreb et du Moyen-Orient est comparable à celui qui souffla et balaya les monarchies conservatrices dans l’Europe de 1848, et que ce fait, est un événement considérable. Cependant, le danger actuel pour Raimon Obiols peut provenir de la grande fragmentation des groupes et groupuscules politiques tunisiens (on en compte près de 60). Ils devraient pouvoir s’inspirer d’un modèle comparable à celui du Frente Amplio de l’Uruguay, qui a été fondé en 1971. En 1984, après le retour de la démocratie, le Frente Amplio est finalement arrivé à s’imposer démocratiquement et à gouverner le pays après les élections de 1994, 1999 et 2004, c’est à dire 23 ans après sa création.

 

En effet, commente G. Puig-Moreno, le facteur temps est significatif dans toute transition politique d’un régime à un autre. Il aura fallu un certain nombre d’années à la transition démocratique espagnole pour passer de la mort de Franco, en 1975, à l’avènement de la démocratie avec l’arrivée au pouvoir de Felipe Gonzalez en 1981 (7 années après). Il faudra donc avoir de la patience avec la Tunisie et l’Egypte, mais un processus irréversible a commencé. Les représentations que nous avions de ces pays étaient complètenent erronées. Entre les islamistes et l’armée on ne voyait rien, alors qu’aujourd’hui, il y a la force inouie de la jeunesse et des peuples qui ont tout boulleversé.

 

Une autre série de questions portaient sur la position de l’Etat d’Israël, évoquée par Elie Barnavi, par rapport aux mouvements révolutionnaires et surtout aux résultats des futures élections en Egypte. Une autre question se referait à l’opposition entre le Maroc à l’Algérie par rapport à la Mauritanie et au Front Polisario, et à leurs récentes négociations. Ce à quoi Obiols a précisé que sont deux pays avec des traditions politiques très différentes mais qui doivent arriver à des accords.

 

Finalement, après avoir débattu et répondu à toutes ces questions, il a été accordé de nous revoir à nouveau dans un an, afin de pouvoir faire le bilan des changements survenus, ainsi que de contrôler les effets de la nouvelle politique d’aide économique du Parlement Européen aux partis politiques  démocratiques des pays sud-méditeranéens. 

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