«Printemps de Tunis» de Abdelwahab Meddeb par Gentil Puig-Moreno, 10 mai 2011

Publié le par Gentil Puig Moreno

« Printemps de Tunis » de Abdelwahab Meddeb

Gentil Puig-Moreno, 10 mai 2011

 

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Comme nous tous, Abdelwahab Meddeb a été bouleversé par ce printemps survenu en

plein hiver. Il nous fait partager cette geste inouïe où le désir démocratique est devenu

irrésistible. De Tunisie est parti le printemps des peuples arabes. En quelques jours,

sous l’impulsion de la jeunesse, et d’Internet, les Tunisiens ont renversé une dictature

qui, la veille encore, semblait inébranlable. À Tunis, où les visages portent les signes de

cette métamorphose de l’Histoire, il a rencontré les acteurs d’une révolution éclairée par

des valeurs universelles, laïques et non violentes. C’est une leçon politique qui exalte la

création d’un peuple devenu enfin souverain, qui ruine les théories de la fin de

l’Histoire ou du choc des civilisations. Touchées par le sacrifice d’un fils du peuple

livré aux flammes, les élites intellectuelles ont renforcé un mouvement lancé par les

plus pauvres et les plus jeunes.


Meddeb a écrit un livre au coeur de la révolution, avec justesse et avec une grande

hauteur de vue. C’est ce printemps, avec tous les espoirs, les craintes, que nous raconte

Abdelwahab Meddeb. Deux mots, deux revendications, dominent cette révolution :

liberté et dignité. Du sacrifice de Mohamed Bouazizi qui s’immole le 17 décembre dans

une région reculée, périphérie de la périphérie, au réveil de toute une société civile qui

attendait ce soulèvement depuis trop longtemps. Dès les premiers jours de la révolution,

on suit l’héritage ambivalent semé par Bourguiba. « Ce désir de liberté n’est pas né à

partir de rien. Il est le résultat de la politique bourguibienne de l’instruction. Nous

assistons à l’un des effets décrits par Condorcet. La généralisation de l’instruction est

la meilleure condition pour promouvoir des citoyens libres, capables d’influer sur

l’évolution des lois ».


Dans son livre Meddeb nous présente les acteurs de ce printemps. Les jeunes, les cybermilitants,

les femmes, les juristes qui devront donner à la Tunisie un cadre institutionnel

propice à l’émergence de la démocratie. Il nous livre les sentiments de l’exilé, amené à

méditer sur sa propre identité depuis le jour de son premier départ, et qui se

redécouvre: « La Tunisie renaît en moi, après une forme d’hibernation. Le sentiment

d’appartenance ne meurt jamais, nous demeurons habités par la scène de l’origine… ».

Meddeb voudrait mettre tous les enseignements de l’histoire au service de cette

transition qu’il sait vulnérable. Le constitutionnalisme allemand de l’après-nazisme

pour éviter qu’un parti intolérant (islamiste) ne profite de l’ouverture démocratique,

l’Espagne pour sa gestion de la transition. Vaclav Havel, pour le mélange d’audace, de

culture et de sagesse durant la transition qui suivit la chute du Mur de Berlin. Dans le

passage d’un Etat corrompu à un Etat démocratique, il faut des démocrates, mais aussi

des guides de l’ancien régime acquis au changement. Pour préserver ce formidable

moment de liberté qui vient d’envahir tout un pays… et au-delà.


« Ce processus, écrit-il, n’a été ni conçu ni vécu dans l’horizon identitaire. Ceux qui

l’ont initié sont des jeunes qui s’identifient aux individus globalisés. Ils rèvent d’être

dans le monde, de l’enrichir pas ce qu’ils sont, de pouvoir se déplacer et y circuler sans

entraves, en procédant librement aux allers et retours entre chez eux et ailleurs.


(…) Cette jeune génération orientale du digital vient de donner une leçon à ses propres

aînés et à l’Occident. Elle inaugure une nouvelle forme politique, une autre façon de

participer à l’Histoire.


(…) Le président Obama constate que ce type d’action via le Web et Facebook tend à

disqualifier les partis politiques traditionnels. Il a vu dans ce qui vient de se passer en

Tunisie et en Egypte la possibilité de porter un coup mortel au mythe d’al-Qaida et de

proposer un autre récit édifiant à l’imaginaire arabe et islamique, celui de la liberté.


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(…) Si le 11 septembre à New York et Washington illustre la maladie, le 14 janvier à

Tunis confirmé par le 11 février au Caire propose le remède. Tels sont les enjeux

qu’aucun de nos experts et intellectuels occidentaux n’ont intégré dans leurs analyses ».


Dans ces observations finales de son livre, Abdelwahab Meddeb indique trois aspects

sur lesquels nous devrions tous méditer : d’une part, il y a désormais les deux faces du

monde musulman, là, où n’en connaissions qu’une (les islamistes). C’est un fait

nouveau, d’une dimension exceptionnelle, dont nous commençons seulement à en

percevoir les conséquences. D’autre part, en ce qui concerne la lutte contre l’intégrisme

islamiste, nous devons reconnaître que les démocrates et laïques de ces pays musulmans

en lutte, sont beaucoup plus critiques que nous, occidentaux. Car en effet, ils les ont

devant eux tous les jours, ils les connaissent beaucoup mieux que nous, et ils doivent les

affronter en première ligne, (comme vient précisément de l’écrire mon ami universitaire

de Tunis, Moncef K.). Ce fait est également une nouvelle découverte. Finalement, il ne

s’agit pas seulement d’une révolution circonscrite uniquement dans certains pays arabomusulmans,

mais aussi et surtout, d’une révolution qui s’adresse à tous les pays, qui

nous concerne tous, parce qu’il y a des aspects nouveaux, qui nous interpellent dans ce

qu’elle a d’unique et d’universel.

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